La planche : Doki Doki (Arnaud PLUMERI)

Hello, les amis, de retour pour un nouvel épisode de "La Planche", cette semaine qui nous fera l'honneur d'un petit tête à tête ? On m'indique qu'il s'agira de Arnaud PLUMERI le chef de gang des éditions Doki Doki. Un éditeur que nous n'avions pas encore passé à la planche, mais c'est désormais chose faite !

Arnaud, peux-tu jurer de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Pose ta main sur la tête d'un des membres de la Doki Doki Rock Team, dit "Dit je le jure" et achève le d'un coup de batte de baseball (un stagiaire du coup c'est préférable). Merci.

* WANTED (et il pose en plus avec BOICHI) !!! *

 

1. Question d'entrée en matière, simple, mais efficace. Peux-tu te présenter toi, ainsi que les éditions Doki Doki dans un premier temps ?

 

Bonjour.

Je suis passionné de bande dessinée au sens large depuis mon enfance, que ce soit du franco-belge, du comics ou du manga. De 1997 à 2002, je tiens d’ailleurs un site de chroniques qui me fait connaître dans le milieu. Après avoir été chef de produit dans l’informatique, je rejoins Bamboo Édition en 2002, une petite maison d’édition qui monte grâce à la série Les Profs, afin de travailler dans un domaine qui m'enthousiasme. En 2006, Bamboo s’est bien développée et nous décidons de lancer la collection manga Doki-Doki, avec Sylvain Chollet et moi aux commandes. Nous avons choisi l’onomatopée « Doki-Doki » qui veut dire « le coeur qui bat la chamade », car cela représentait bien nos coups de coeur éditoriaux. Je suis également scénariste de BD à mes heures perdues.

2. Doki-Doki, fait partie de la caste des "petits" éditeurs sur le marché français, vous collaborez souvent avec les mêmes éditeurs nippons, mais pas les "gros porteurs" (Shueisha, Kodansha, Shogakukan). Sont-ils inaccessibles à ce point quand on est une petite structure ? Ou est-ce simplement une question de moyen, concernant leurs attentes ?

 

À ce jour, nous collaborons avec 17 ou 18 éditeurs japonais différents. Certes, pas encore avec les trois que vous citez, mais nous travaillons tout de même avec Kadokawa, le numéro 2 du livre au Japon. Il arrive que les éditeurs les plus importants reçoivent nos offres quand un titre nous plaît vraiment. Nous savons que pour les convaincre, il en faut plus qu’une boîte de chocolats : ils nous jugent sur notre travail dans la durée. Je ne fais pas non plus une fixation sur tel ou tel éditeur japonais. Il y a de bonnes séries chez tous les éditeurs et obtenir un titre de chez Shueisha ne signifie pas forcément qu’il va se vendre comme des petits pains. Bien sûr, l’idéal est de pouvoir travailler avec tout le monde, car il y a des pépites à trouver dans tous les catalogues.

3. Est-ce que le fait de travailler avec des éditeurs moins "reconnus" (en dehors du Japon) donne accès à plus de titres ? Les gros éditeurs français viennent-ils aussi piocher dans ce secteur ou bien avez-vous le champ libre ? Chez des éditeurs, on va dire "homologue" est-ce plus facile de s'entendre et de trouver des issues favorables ?

 

Détrompez-vous, tous les éditeurs français font un travail de veille sur les mêmes éditeurs que nous et la concurrence est de plus en plus ardue pour obtenir une série. Par exemple, Futubasha chez qui nous avons signé Otaku Girls ou Revenge Classroom, est l’éditeur d’origine de King’s Game publié chez Ki-oon, une série qui marche très fort. C’est un exemple parmi tant d’autres.

4. Je suis Doki-Doki depuis toujours et j'ai découvert plusieurs auteurs comme Yuko OSADA (C[si:], Kid I Luck), Hajime YAMAMURA (Kamunagaru, Kamisama Dolls), Koji KONO (Gewalt, Inspecteur Kurokochi), Junya INOUE (Otogi Matsuri, Btooom) ou encore SHINJIRO (Taboo Tattoo, Fate/Zero). Des mangakas qu'on découvre dans votre catalogue, mais qui finissent aussi chez d'autres éditeurs. Le fait d'être le premier éditeur à mettre la main sur tel ou tel auteur ne donne-t-il pas un avantage pour la négociation de ses séries (même si pas chez le même éditeur) ? N'es-tu pas un peu "triste" de voir des auteurs "découvert" par Doki-Doki, finalement être publié ailleurs ?

 

Je ne me sens pas propriétaire d’un auteur. Même si en effet, voir l’auteur d’Otogi Matsuri publié chez un autre éditeur, ça m’a un peu attristé à l’époque. Ça m’embête un peu plus quand une relation de proximité s’est créée avec quelqu'un comme Boichi, l'auteur de Sun-Ken Rock. L’idéal serait que les auteurs aient leur mot à dire sur le choix de l’éditeur français qui les publiera, ce qui n’est pas souvent le cas.

5. Pour rester sur les auteurs, est-ce qu'une série d'Hideyuki YONEHARA (Full Ahead Coco, Dämons) est dans les tuyaux ? L'auteur étant très productif et proposant des titres sympathiques, je suis toujours étonné de ne pas le revoir dans votre catalogue.

 

On me pose souvent la question et je vais être transparent : j’adore YONEHARA. Nous avons publié 43 volumes de ses oeuvres : 30 de Full Ahead ! Coco et 13 de Dämons. La critique a été dithyrambique, mais les ventes assez catastrophiques, ce qui a rendu les débuts de Doki-Doki difficiles. En bon gestionnaire, je dois parfois mettre de côté mon costume de fan pour la pérennité de la collection, et plutôt développer d’autres styles de mangas (dans leur graphisme ou leur thématique) qui, eux, trouvent plus facilement leur public. Mais ça ne nous empêche pas de publier de temps en temps des séries différentes, comme Mr. Nobody pour n’en citer qu’un.

6. Nous sommes déjà à la sixième question, une tradition chez nous. Peux-tu nous dire quel serait le manga que tu intégrerais à ton catalogue si tu avais le choix (même chez un autre éditeur) ? Et quel titre tu refourguerais sans hésiter ?

 

Quand nous faisons une offre pour un titre, c’est que nous l’imaginons à l’aise dans notre catalogue. Et parfois, ce titre part à la concurrence, c’est la règle du jeu. Inutile de vous donner les titres, il y en a chez tous les éditeurs et je préfère aller de l'avant plutôt que de vivre sur des regrets. Honnêtement, je ne refourguerais aucun de nos titres à un autre éditeur. D’une part, parce que j’assume mes choix et mes erreurs, tant qu’elles m’aident à progresser. D’autre part, parce que je respecte le travail de mes confrères et consoeurs, surtout ceux qui ont développé une maison d’édition avec leurs fonds propres.

7.Je n'en est pas parlé plus haut (puisqu'on le retrouve aussi maintenant chez d'autres éditeurs, décidément), mais Doki-Doki à quand même fait découvrir à la France le très bon BOICHI via sa série "Sun-Ken Rock" (votre locomotive si je ne dis pas de bêtise). Un auteur que vous chouchoutez et qui vous tient à cœur puisque, chose rare pour un éditeur de votre taille, vous avez proposé un artbook de sa série phare. Peux-tu nous parler un peu sa découverte et de la relation que vous entretenez avec l'auteur ?

 

Boichi et Sun-Ken Rock, c’est l’exemple typique de ce qui me fait aimer ce métier. Nous avons repéré Sun-Ken Rock en 2006 dans le magazine Young King. Séduits par l’ambiance et le dessin, nous avons immédiatement fait une offre à l’éditeur Shônen Gahôsha. Nous publions le premier volume en 2007 avec un tirage modeste, aujourd’hui la série approche les 300 000 exemplaires vendus. Mais c’est l’aspect humain qui l’emporte. D’abord avec les lecteurs, qui nous ont submergé de messages sympas et d’initiatives originales autour de SKR (cosplays, dessins, sculptures, gâteaux…). Boichi, quant à lui, vivait dans sa bulle. Il avait souffert des lois liberticides en Corée du Sud, son pays d’origine, et avait dû s’exiler au Japon pour poursuivre son art. Il se méfiait de ce que l’on pouvait dire de lui. Nous lui avons transmis, ainsi qu’à son éditeur, les messages de soutien et d’amour de ses fans français. Et miracle, sa bulle a éclaté et il a été bouleversé par un tel accueil. C’est pourquoi cette année, à l’occasion de Japan Expo, il a accepté notre invitation malgré son planning surchargé. Pour fêter sa venue, nous avons créé de toutes pièces l’artbook The Art of Sun-Ken Rock, en collaboration directe avec le mangaka. Pour vous montrer à quel point il s’est engagé sur ce projet, nous avons reçu plusieurs gigas de fichiers, mais aussi 20 pages Word de réponses à notre interview, qu’il a fallu synthétiser. Il a également tenu à créer un visuel de couverture original. Assister à sa rencontre avec ses lecteurs et lire autant d’émotion dans leurs yeux a été pour moi une belle récompense, on comprend alors pourquoi on se donne du mal toute l’année.

Et puis, avec ses deux gros cartons de cadeaux offerts par ses fans, Boichi est reparti heureux sur sa planète d’accro au travail, pour dessiner les derniers volumes de Sun-Ken Rock et de nouveaux projets dont il a le secret.

8. Chez Nakamanga on se penche toujours sur vos nouveautés. Si l'on trouve régulièrement bonnes surprises (comme "Coeurs à Coeurs", "Hanayamata", "Husk of Eden", "Mr.Nobody"), la tendance globale donne l'impression de série "moyenne" pour ainsi dire. Est-ce plus difficile de trouver des perles chez les petits éditeurs ?

 

Tout est une question de point de vue. Les perles que vous citez n’ont pas connu un grand succès. D’autres lecteurs vont me dire que leur perle à eux, c’est Freezing, Servamp, Revenge Classroom ou Zelphy. Quand nous choisissons une série, nous ne pensons pas prendre « une série moyenne ». Il y a suffisamment de choix en librairie pour que chacun trouve un manga à son goût, ou qui corresponde à son humeur du moment. Parfois, on n’a besoin de lire un bon gros divertissement qui ne fait pas réfléchir. Il faut l’assumer, sinon allez chez un psy ! Et il y a des perles chez tous les éditeurs, il faut réussir à donner envie aux lecteurs français de les découvrir.

9. Lors de vos débuts, vous vous penchiez parfois sur des titres plus atypiques comme "Shiori & Shimiko" ou "Le cortège des 100 démons", deux séries stoppées en cours de route (snif snif). Penses-tu qu'à l'époque le marché n'était pas prêt pour accueillir ce genre de titre (mangas d'horreur,  ou yokai) ? Est-ce qu'ils s'en sortirait mieux maintenant ? Ce genre d'échecs, vous rendent-ils plus frileux ?

 

Lancer une collection est un travail de longue haleine, et se construire une image prend du temps.  Publiés à nos débuts, Shiori & Shimiko et Le Cortège des cent démons m’ont procuré de beaux moments de lecture, qui ont été refroidis par des ventes finales de l’ordre de 400 exemplaires. Pour notre survie, il était impossible de continuer sur cette voie. Certains nous reprochent encore la décision brutale de les avoir stoppés, mais ils ne s’imaginent pas que nous ne serions plus là aujourd’hui sans cette décision. Je pense que ces titres s’adressaient à une frange marginale du lectorat manga, qu’on n’avait pas une image assez « intello » et que nous avons raté leur lancement (des erreurs de jeunesse). S’il y a bien quelque chose que je déteste, c’est l’arrêt d’une série en cours de route. Heureusement, ça ne s’est pas produit depuis longtemps chez Doki-Doki. 

10. On termine avec le traditionnel "C'est quoi la suite", pour les prochains temps ? On te laisse le mot de la fin.

 

En novembre 2015, nous lançons une série en 2 volumes appelée Soloman. L’histoire d’un jeune homme qui rêve de devenir héros, mais vit reclus dans son appartement. Jusqu’au jour où un appel au secours le tire de chez lui. Et là, il découvre que le monde est ravagé et qu’il est capable de dialoguer avec l’âme des morts. Qui est responsable de tout cela ? Et à quoi bon avoir des superpouvoirs si l’on est maintenant seul au monde ? D’ailleurs, l’est-il vraiment ? Que de questions ! ^^

En janvier 2016, nous publions le début d’une série en trois volumes : Guren Five. C’est un manga d’action bien délirant avec comme point de départ : des voyous peuvent-ils sauver le monde d’une menace extra-terrestre ? Certains vont penser au film Attack the block. Le graphisme de Guren Five est super dynamique, et cerise sur le gâteau, le character design est signé Yûki KODAMA, l’auteur de Blood Lad.

L’action sera également à l’honneur en février 2016, avec la version manga d’une licence bien connue en France : Black Bullet ! Si vous avez vu l’animé, vous ne serez pas dépaysés. La version manga est sans temps mort. Pour ceux qui ne connaissent pas, cela se passe en 2021. L’humanité est ravagée par un virus qui transforme leur porteur en abomination. Le héros, Rentaro, est membre de la sécurité civile et a pour mission de stopper les créatures infectées dans Tokyo et de remonter à la source du virus. Il est accompagné d’une jeune fille nommée Enju, un « enfant maudit », c’est-à-dire qu’elle porte en elle le virus, mais que celui-ci décuple ses aptitudes physiques plutôt que de la détruire. C’est une série de grande qualité en 4 volumes.

Voilà un aperçu de notre début d’année 2016, l’année des 10 ans de Doki-Doki !

 

Des nouveautés dont on ne manquera pas de vous parler via nos chroniques bien entendu les amis !! Nous remercions Arnaud PLUMERI pour avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions et de l'avoir fait avec autant de franchise que possible. Rendez-vous dans deux semaines pour un nouvel épisode de La Planche !!!
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