La Planche : AIENKEI

Et nous revoilà pour quoi donc ?! Un nouvel épisode de La Planche, c'est bien vous suivez ! Cette semaine, un invité de marque (comme d'habitude vous me direz), puisque nous avons la chance d'accueillir AIENKEI, qui n'est autre que la moitié du tandem de choc (avec ENAIBI) d'auteurs en charge du manga "Horion" !! Le titre est disponible depuis quelques temps déjà, il m'a convaincu et je crois sans trop m'avancer pouvoir dire qu'il a convaincu pas mal de monde !!

1. On démarre avec la sempiternelle question de présentation. Peux-tu nous faire un petit récap de ton parcours ?
 
Pour ma part, j’ai très vite compris que l’école c’était pas mon truc. Et pourtant, j’étais un bon élève. En fait, j’ai eu la chance de me découvrir très tôt un amour infini pour la lecture et le dessin. Dès lors, chaque minute passée dans une salle de cours c’était une minute que je ne passais dans mes mondes imaginaires. Tout ce que je voulais, c’était pouvoir rester enfermé dans une bibliothèque, ou bien devant des feuilles blanches pour écrire ou dessiner la suite des aventures des Peanuts et Cobra. La suite n’est qu’un alignement de planètes extraordinaire, puisqu’à la toute fin des années 80, j’ai eu l’insigne honneur d’être rédacteur pour « L’Effet Ripobe », l’un des 3 premiers prozines sur l’animation japonaise, aux cotés de Manga Zone et Animeland. Le manga en France, on était peu à y croire, mais l’avenir nous donnera raison.
 
2. Peux-tu nous parler de la création d'Horion ? Comment est né le projet ?
 
Horion n’est jamais né. Enfin, pas comme un projet. Horion c’est un peu le crossover de toutes mes passions. Que ce soit, les jeux vidéo, les mangas, les jeux de rôles, les LDVELH, le cinéma, la littérature, etc. Tout ces médias ont contribué à motiver mon désir de donner vie à de nombreux personnages et à leur histoire. Simplement, un beau jour, en 1999, on s’est dit que ce serait pas mal de montrer tout ça dans les salons de japanimation. On a donc trouvé un titre, puis j’ai investi mon temps et mes économies pour le distribuer en 2001. Horion était là, mais il faudra attendre presque 20 ans pour qu’il soit édité. 20 années durant lesquelles nous sommes restés cloitrés dans la salle de l’esprit et du temps à peaufiner nos techniques. Se faire éditer, ça peut aller très vite. Devenir un Auteur, ça prend du temps.
 
3. Les deux premiers volumes semblent avoir un petit succès, es-tu surpris de l'accueil que connait la série ? Sur une première création comme celle-ci est-ce d'autant plus "touchant" de voir des retours positifs ?
 
Bah ouais, c’est carrément touchant. Voire même, troublant. Ça vient sans doute de ma culture du JDR et du RPG, mais j’ai écrit Horion pour les explorateurs, plus que pour les lecteurs. Même si je l’espérais vivement, je ne pensais pas qu’il y aurait un tel engouement autour du titre. Après coup, je me dis que, finalement, aujourd’hui, la majorité des lecteurs sont aussi des joueurs de jeux vidéo. Ils ont l’habitude de se perdre, et ils apprécient de chercher leur chemin sans être forcément tenu par la main. Je pense que c’est cet état d’esprit qui a fait la différence.
 
 
4. Lors de la lecture des premiers volumes, j'ai eu le sentiment qu'on partait d’une idée toute simple qui est "Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort". Est-ce aussi simple que ça ?
 
Y’a un peu de ça, mais pas que. Dans Horion, chacun peut y voir quelque chose de différent, je pense. Personnellement, j’y vois quelque chose de très réel. Par exemple : le prix de l’indépendance. Rares sont les individus prêts à lâcher une vie routinière confortable pour se lancer sans filet dans un univers artistique aux lendemains incertains. D’ailleurs, on peut remarquer que dans Horion, lorsque on se trouve dans la cité de Landgrave, on voit principalement des chats dans le décor. Alors qu’à Fondé, la capital du contient Alcade où réside le roi, on voit surtout des chiens. C’est ma manière de suggérer et d’opposer l’indépendance qui règne dans un lieu à la soumission qui est de mise dans un autre. À bien y réfléchir, c’est peut-être du coté de la fable « Le Loup et le Chien » qu’il faut chercher une probable amorce thématique, mais rien n’est moins sûr. Cela dit, on peut au moins être certain d’une chose : Horion est une ode à la liberté, sous toutes ses formes. Les phrase comme « Ouvre les yeux ! », ou encore « Ouvre tes sens !», ce sont des messages que j’adresse aux lecteurs à travers mes personnages. Je suppose que j’ai à cœur la lucidité du peuple, parce qu’elle fait trembler les fantoches.
 
5. Puisque tu t'es dirigé vers le manga, peux-tu nous dire ce qui te botte dans la production manga ? Des classiques ? Dernières découvertes ?
 
C’est avec l’animation que j’ai découvert la culture manga. Mon héros d’enfance s’appelle Cobra, et je trouve encore aujourd’hui des qualités incroyables dans cette œuvre de Buichi Teresawa, tant sur la forme que sur le fond. Néanmoins, c’est a un animé du nom d’Urusei Yatsura (real. Oshii Mamoru) que je dois mes premiers émois d’adolescent pour les récits et les ambiances oniriques. C’est à Saint Seiya que je dois mon amour du shônen. Et enfin, c’est le manga Akira qui m’a incité à me couper du monde pour dessiner des planches tous les jours. À contrario, c’est ce même manga qui m’a fait comprendre que, définitivement, j’étais trop lent pour dessiner, et que j’avais trop de choses à raconter pour négliger l’idéation et continuer d’investir mon temps dans le dessin. Il y a aussi beaucoup de titres que je revois régulièrement depuis des années, comme les 2 premiers film Patlabor, L’œuf de l’Ange, Nausicaa, Laputa, Porco Rosso, Mononoke Hime, Mind Game, Jubei Ninpucho, Millenium Actress, Le tombeau des Lucioles, Mes voisins les Yamada, Omoide Poroporo, Pompoko, Hunter X Hunter, Yakitate Japan, et bien d’autres. Il est clair que je préfère l’animation au manga papier, mais l’un nourrissant l’autre, j’ai besoin des deux. Et pour ce qui est des œuvres plus modernes, il y en a beaucoup que j’apprécie, Haikyuu, Death Note et Bakuman, par exemple. Mais il y aussi des petites perles trop méconnues comme The Tatami Galaxy qui mérite notre temps. Pour être honnête, c’est une question que je n’aime pas beaucoup, parce qu’en relisant ma réponse quand elle sera publiée, je pesterai forcément d’avoir oublier de citer de nombreux titres.
 
 
6. Quand on fait un "global manga" (pas fan de l'appellation mais bon), j'imagine qu'on puise forcément de l'inspiration dans la production nippone, mais est-ce que tu regarde aussi du côté de la France ?
 
Je crois que le terme de prédilection pour les éditeurs actuellement c’est « manga de création », pour signifier que ce n’est pas l’exploitation d’une licence japonaise mais une création complète. Pour ce qui est du manga français, j’ai beaucoup de respect pour tous les acteurs du milieu, ils font beaucoup avec peu et pour peu, mais je n’en lis pas. Néanmoins, je surveille avec plaisir les auteurs comme Tony Valent (Radiant), Yami Shin (Green Mechanic) et Nicolas David (Meckaz), parce qu’on partage manifestement la même propension pour le manga d’auteur et l’esthétisme japonais sans compromis.
 
7. On essai souvent de cataloguer les titres, "shonen", "seinen" etc... J'ai eu le sentiment durant la lecture, qu'Horion ne rentrait pas spécialement dans l'une de ses cases. On retrouve certes l'état d'esprit shonen, mais on trouve aussi beaucoup de fond, des côtés assez durs, des thèmes plus "sombres". Était-ce ce que tu avais en tête dès le départ ? Faire quelques une série "hybride" ? Est-ce que tu n'as pas eu peur en mélangeant un peu tout, de ne finalement satisfaire aucun lectorat visé ?
 
Effectivement, c’est l’un des deux plus gros risques de ma démarche. Le second étant de proposer au lectorat des textes plus écrits que traduits, les lecteurs s’étant habitués à un langage épuré et minimaliste du fait des contraintes de traduction. Pour ce qui est des genres et des cases, je n’y vois que des étiquettes permettant d’aiguiller de manière approximative le consommateur dans une librairie. Un film comme Save The Green Planet (Jang Joon-Hwan, 2003) ne sera pas classé dans le même genre selon qu’on se fit à la première ou à la seconde moitié du film, et j’aime cette liberté narrative. De mon point de vue, une œuvre ne doit pas se plier au structure, ce sont les structures qui doivent se plier à l’œuvre. Horion n’est pas obséquieux avec le public, il demande un tant soi peu de concentration pour se livrer entièrement. Le risque était là, peut-être.
 
 
7bis (je triche, c'est mon blog balec). Je ne sais pas si vous bossez à deux sur les dialogues et l'humour, mais je trouve qu'à la manière de "Radiant" vous avez su trouver le bon ton pour ne pas être trop "djeuns", ni trop "vieillot". Penses-tu que sur ce plan là du moins, c'est un atout d'être français ? On vise peut-être plus juste quand il s'agit des dialogues, de distiller l'humour, puisqu'il n'y a pas d'adaptation, non ?
 
En fait, l’humour, je n’en décide pas. Il n’y a aucun gag planifié. Je me contente d’écrire les scènes en opposant les divergences et les caractères, et je crois que c’est du contraste de ces confrontations que né l’humour. Mais à vrai dire, je n’en sais trop rien. J’ai l’impression que plus on veut faire rire, moins on est drôle, mais peut-être que je me trompe.
 
8. L'univers que vous avez mis en place semble vaste, avec de nombreuses possibilités pour la suite. Avez-vous déjà une idée en tête du cheminement de l'histoire, la fin, la durée ? Où est-ce qu'on avance en mode YOLO jusqu'à ce que les lecteurs ou Glénat disent stop ? 
 
La fin est déjà écrite, l’évolution de la majorité des personnages est déjà planifiée et de nombreuses étapes décisives sont déjà posées. Cela dit, je m’autorise de tout changer à tout moment, de rallonger grandement la durée d’un arc, voire même d’en rajouter plusieurs si j’en ai envie. Je ne suis pas un adepte des idées gravées dans le marbre, surtout quand elles sont là depuis longtemps. Pour la durée, ça va dépendre du public. Tant qu’il nous appréciera, et tant qu’il nous soutiendra, Horion existera. Pour ce qui est de dire stop, personne d’autre que moi n’y est habilité. D’autant qu’avec l’avènement d’Internet et le succès de l’auto-édition, la fin d’une série c’est une notion assez floue aujourd’hui, il me semble.
 
9. Il y a quelques semaines en arrière, vous étiez présent en tant d'auteurs à la Japan Expo. Comment avez-vous vécu cette première (je suppose) grosse exposition ? Stresse au taquet ? Gros kiffe ? La rencontre avec le public s'est bien passé ?
 
Personnellement, je n’étais là que pour accompagner la dessinatrice pour sa première rencontre avec notre nouveau public – le véritable héros d’un manga, c’est la personne qui le dessine. Nous avons déjà fait de nombreux salons pas le passé, mais c’était en tant qu’auteurs amateurs. Ma vision de tout cela n’a guère changé depuis l’époque où nous étions nos propres éditeurs/distributeurs. Contrairement à Enaibi, qui s’en sort à merveille, je ne suis définitivement pas fait pour ça. J’ai pris 20 minutes pour répondre à la première question de la première interview, ce qui a mis un terme à la dite interview. Et sur le stand, de crainte que je sombre dans le mutisme (j’étais un enfant timide et j’ai de beaux restes), j’ai passé mon temps à trop parler. Et comme je suis d’un naturel sincère et sans compromis, c’est un jeu dangereux en société. Conclusion : je suis définitivement un sociopathe incurable qu’on devrait laisser enfermer dans sa chambre pour le bien de tous.
 
 
10. L'heure est déjà venue du "C'est quoi la suite" ? Alors, c'est quoi la suite ? Je te laisse le mot de la fin. 
 
La suite c’est rarement ce qu’on attend – raconte aux divinités tes projets pour les faire rire. Ce n’est pas non plus ce que le public ou l’éditeur attend. Du coup, pour être raccord avec ta question mais aussi pour finir classe et humble en même temps, je vais citer Stan Lee et terminer sur un juron : « On ne doit jamais donner au public ce qu’il croit vouloir. » Et je suis tellement d’accord avec ça, bordel !
 
 
Un énorme merci à Aienkei pour le temps qu'il nous a accordé sur cette interview. Pour ceux qui ne l'aurait pas compris, "Horion" est l'un des titres français les plus intéressants du moment donc foncez !!!
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