Who's Bad ?!
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En ce moment, vous l'aurez peut-être remarqué, on rentre dans la période creuse de l'année pour les amateurs de manga, plus de nouveautés sur les étalages, des librairies tristement vides et tous tes amis qui partent en vacances. L'occasion donc d'aller piocher dans les séries qui sont dans ta,liste "plan to read" depuis cinq ans. Aujourd'hui on va donc faire un saut dans le passé, s'intéresser à l'un des piliers du manga moderne puisqu'on va parler de Devilman ("Debiruman" pour les intimes) de Gooooo Nagaiiiii!

C'est l'histoire d'une lecture que je commençais fort déçu et que je finis ravi, d'un manga qui s'annonçait vieillissant et qui m'a surpris par sa vitalité. Les démons, anciens habitants de la Terre, se sont réveillés de leur sommeil millénaire afin de reprendre possession de la planète, exterminant la race humaine. Ryô Asuka est convaincu que l'unique moyen de combattre cette menace est de mélanger son propre corps avec un de ces êtres diaboliques afin d'assimiler ses pouvoirs. Dans ce but, il se sert alors du jeune Akira Fudô. Voici donc l'histoire d'un adolescent hybride mi-démon mi-humain obligé de lutter contre les violences et les souffrances. Voici Devilman! Un pitch somme toute très simple qu'il faudra donc prendre soin de décaper pour en voir les enjeux.
Après un petit flashback historique en guise d'introduction, Go Nagai démarre son histoire de façon traditionnelle. Des méchants pas beaux, un scientifique fou, un jeune homme pur pour sauver la Terre... le décor est posé, nous jouerons donc en terrain connu. Mais forcément, pour que cette histoire paraisse cliché il faut bien que le cliché ait pris forme quelque part et Devilman est une relique du début des années 1970, une époque ou le manga n'avait pas encore pris la forme qu'il connait aujourd'hui. Les bases posée n'en restent pas moins très manichéennes et ne sont pas aidées par une narration encore assez grossière et un dessin très simple à la Tezuka. Le mangaka initie donc un début de série assez convenu mais distrayant tout de même, car c'est avant tout un divertissement que l'on nous propose ici, les explications sont très sommaires, les réflexions primaires mais coïncident finalement avec le début du manga comme industrie, un belle relique d'une époque somme toute. A moins que....?

Dès le quatrième volume débute le deuxième arc, et c'est alors que tout change. Dès le début de la série est mise en place une réflexion sur le bien et mal, occupant alors une position annexe et faisant l'objet de peu de développement, celle-ci est finalement mise de côté assez vite pour se lancer dans une aventure "épique" divertissante mais dont on voit bien l'aspect industriel qui lasse finalement assez vite. Avec ce deuxième arc le lecteur découvre que cette lecture manichéenne du monde faite de premier abord ne peut qu'être erronée lorsque les vilains du début rejoignent devilman; quand notre héros pur devra lui-même se rabaisser à devenir un criminel. Le questionnement sur les notions de bien et de mal gagne un dimension et prend beaucoup plus d'ampleur qu'il n'en avait eu jusqu'alors. Devilman devient alors un personnage torturé soumis à sa propre morale tandis que les démons ne sont plus ces êtres maléfiques et terrifiants mais une notion de mal plus large.
Commençant tel un divertissement primaire et gagnant en profondeur au fil du récit, Devilman se dévoile finalement comme un belle relique de ce qu'est le manga. A la croisée entre le produit industriel et le manga d'auteur nous voyons dans cette seule oeuvre plusieurs aspects de l'art qu'elle représente. Des hésitations dans la forme témoigneront d'un tâtonnement de l'auteur, alternant entre une histoire à vocation de grande épopée puis de petits chapitres indépendants pour enfin reprendre sur une intrigue sur la longueur, Go Nagai nous offre une oeuvre complexe et difficilement cernable.

En France, les cinq tomes de la série sont disponibles chez Black Box dans une édition comme toujours très simple mais au design fidèle au matériau de base. Malgré quelques petites fautes d'orthographe par-ci par-là ou des erreurs dans les bulles, la série reste un bel objet à avoir dans sa mangathèque et dont la frise sur la tranche vous donnera une envie de tous les collectionner. Gare à ne pas se faire avoir par sa première impression, Go Nagai, malgré un style de premier abord simpliste nous offre par moment de très belles planches desquelles nous ressentons la haine, la peur ou toute autre émotion forte qui s'en dégage. Le mangaka n'hésite pas à prendre de la place pour s'exprimer, usant par moment de pages entières pour laisser place à un trait dynamique presque compulsif.
Devilman est le genre de récit qui paye pas de mine, que tu commences par dépit et qui finit par mener quelque part, trouver de la cohérence jusqu'à te surprendre toi-même de t'y attacher. J'ai commencé cette lecture avec un chapeau d'Indiana Jones à la découverte d'une relique d'une autre époque et me suis retrouvé malgré moi plongé dans une oeuvre plus complexe qu'il n'y parait pour quiconque n'abandonne pas la lecture face au manichéisme des premiers tomes. Une bien belle lecture qu'il faut savoir débroussailler et appréhender pour apprécier à sa juste valeur.