L'amour est aveugle !

Et si on se posait un instant pour regarder autour de nous? Et si on observait le monde autrement qu'avec nos yeux pour une fois?

 

 

Ichitarô est aveugle, il ne voit donc rien de ce qu'il se passe autour de lui (jusque là ça va). Chihaya, elle, possède l'usage de ses deux yeux, mais rien ne va comme il faudrait dans sa vie, son boulot est nul, son père se saoule tous les soir... bref, c'est la déprime. Un jour, en retard au boulot, le jeune femme fait tomber la canne d'Ichitarô dans l'escalier du métro mais dans la précipitation ne s'arrête pas pour la ramasser. Ce ne sera que plus tard, lorsqu'elle le croisera à nouveau, qu'elle apprendra à connaître cet homme qui va changer sa vie. Et si c'était Chihaya qui était aveugle, incapable d'apprécier ce qu'il se passe autour d'elle? Comme dans beaucoup de comédies nous sommes ici en présence d'un scénario basé sur l'opposition entre deux personnages, cette fois-ci pas pour faire rire mais réagir. Chihaya sert "d'étalon" à cette histoire, elle est le personnage dans lequel 90% des lecteurs se reconnaîtront (selon une statistique sortie tout droit de mon cul), nous apprendrons donc avec elle à voir autrement qu'avec avec les yeux... mais aussi à appréhender le handicap parce que c'est quand même le sujet, faut pas déconner.

 

Il y a pas à chier, Nos yeux fermés est une très bonne comédie romantique. Je vois déjà les plus bornés d'entre vous se cacher les yeux au mot "romantique", imaginant déjà des pages parsemées d'étoiles et au découpage en puzzle; mais calmez-vous bon sang! Avec Akira Sasô on ne mange pas de ce pain là, le mangaka nous propose une vision mature et très japonaise de l'amour, celle de la longue évolution d'une passion sans jamais mettre de mots précis sur ces sentiments que le lecteur devra appréhender par lui-même au fil des pages. Grâce à ce choix de personnages nous apprenons à nous familiariser avec la cécité, et Akira Sasô réussit le pari de nous faire comprendre la difficulté de vivre avec un handicap au quotidien sans jamais faire recours au misérabilisme. Au contraire, le personnage de Ichitarô est une bouffée de fraicheur dans ce monde de brut, un homme contrastant avec son environnement par son optimisme à toute épreuve.

 

 

Mais loin de parler simplement d'amour, ce manga est plutôt un hybride indéfinissable, ici le propos est avant tout d'ouvrir les "yeux fermés" du lecteur, de nous faire voir le monde autrement mais surtout d'apprendre à apprécier l'instant présent, à apprécier notre quotidien. En celà l'oeuvre rappelle pas mal l'ambiance de "l'Homme qui marche" du regretté Jirô Taniguchi avec toutefois un scénario bien plus développé (pas bien difficile me direz-vous). Nous nous plaisons donc à découvrir le monde "vu", ou plutôt "vécu" par Ichitarô, et acceptons sans rechigner de nous faire guider par un aveugle, inversant les rôles le temps d'un manga pour faire prendre conscience au lecteur que la cécité n'est pas qu'une maladie des yeux et qu'elle touche bien plus de monde qu'on ne le pense.

 

Jusque dans sa forme le manga se présente comme un OVNI. Le dessin pour commencer tranche pas mal avec ce que l'on a l'habitude de voir à base de traits tremblottants rappelant pas mal Yuki Urushibara (Mushishi, Underwater). Ainsi, l'auteur insuffle un esprit d'authenticité et de poésie dans son oeuvre, composant ses pages tel un travail d'artisan. Le format en lui-même concourt aussi à cette impression; je ne sais pas dans quel format est parue l'oeuvre au Japon mais en France Pika a fait le choix de la placer dans son catalogue "Graphics" pour une sortie en grand format. Néanmoins le lecteur aguerri ne s'y fera pas prendre, avec ces chapitres de 20 pages et cette narration assez classique, c'est bien un manga grand format qu'il tient en mains et non-pas un "roman graphique". Ce choix semble plus lié à une intention de s'adresser à un public plus large, et le propos s'y prête, tout en permettant à tous d'apprécier ces beaux dessins sur de grandes pages.

 

Nos yeux fermés se présente comme un One-Shot sorti un peu de nul part. Dans sa forme autant que son fond Akira Sasô nous propose un manga assez indéfinissable, un récit sur la tolérance et l'ouverture qui ne manquera pas de questionner le lecteur tout en faisant évoluer sa manière de voir le monde. La lecture est plaisante et la réflexion présente *mic drop*.

 

 

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