Ce n'est qu'un au revoir !
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Goodbye my friends... Une page de l'histoire du manga en France s'est récemment tournée avec la parution du 72ème et dernier volume de la série Naruto. C'est avec énormément de regrets mais aussi une immense délivrance que le publique Français a accueillit cette conclusion. Nous rendrons donc aujourd'hui un dernier hommage à, la série qui a bercé mon enfance (oui je suis plus de la génération Naruto que DBZ, so what?) mais qui a aussi su déchaîner les passions ces dernières années. Un phénomène à la réception complexe qui pose de nombreuses questions sur le système éditorial japonais.
Ce coup-ci nous n'allons pas commencer la chronique par le pitch comme d'habitude. Pourquoi? Parce que Naruto! Et si tu fais partie des quelques extraterrestres qui ne connaissent pas le ninja à la veste orange... je t'invite simplement à te pendre courir dans la librairie la plus proche et de vite acheter les premiers volumes pour constater ton ignorance (en plus les trois premiers sont à 3€ jusqu'à la fin de l'année). Avec une histoire mêlant le folklore traditionnel japonais à une sauce shônen goûteuse, Naruto a su marquer l'histoire du Shônen manga et même le monde (oui monsieur, je pèse mes mots). Commencée en octobre 1999 dans le célèbre Weekly Shônen Jump de la Shueisha, la série a très vite atteint un succès national puis international, pour devenir en 2010 la cinquième série de l'éditeur à dépasser le cap des cent millions de volumes vendus. En 2012, les éditions Kana annoncent que Naruto est le manga le plus vendu en France, dépassant même Tintin et Astérix avec plus de 14 millions de volumes écoulés. On ne compte plus aujourd'hui le nombre de produits dérivés, films ou autres jeux-vidéos sur licence dont le succès n'est ni plus ni moins que planétaire.
* C'est la fin *
Ce qui fait de le succès de Naruto c'est avant tout un univers complet et travaillé à souhaits. Au fil des volumes, l'oeuvre s'affirme et pose peu à peu son univers dans toute sa complexité. Nous voyons le background des personnages s'étoffer à l'aide de flashbacks nous racontant des histoires simples mais suffisantes pour être touchantes et nous faire passer un message. Ainsi, Masashi Kishimoto est arrivé à doter son manga d'une ribambelle de personnages pleins de vie aux côtés desquels nous évoluons. Peu à peu, toute une mythologie s'installe dans ce monde ninja, dévoilant sous nos yeux différents clans, différents villages, différentes sociétés dont les relations structureront le récit. Ceci pose la base d'un univers dans lequel pourront se poser les questions de l'exclusion, la justice, le bien et le mal, ou encore le pouvoir, à travers différents rapports de forces et liens émotionnels. Le manga a su évoluer au fil des volumes pour donner vie à un univers et des personnages dont l'authenticité ont su toucher des millions de personnes à travers le monde.
Les antagonistes, pour ne pas dire les "méchants", sont une qualité de l'oeuvre que l'on a rarement vu égalée depuis. Le rapport entre les différents personnages n'est pas tant émotionnel qu'intellectuel dans cette oeuvre. Au fil de l'avancement de l'histoire, une ribambelle d'amis, de rivaux, ou d'opposants se présentent à notre héros pour des confrontations dont Naruto ressortira grandi. En effet, les motivations de chaque antagoniste relèvent souvent d'une histoire particulière ou d'une philosophie propre justifiant leurs actions. Nous ne verrons que rarement dans Naruto un personnage dont la seul motivation est de tout casser simplement parce qu'il est "méchant". Chacun aspire à un idéal différent qu'il saura défendre et avec lequel la confrontation ne pourra qu'être féconde.
Seulement voilà... est arrivé le dernier arc... celui de la grande guerre ninja. A partir du début de ce dernier arc, la qualité de l'oeuvre n'a cessé de régresser et le manga à joué la montre au point de donner une mixture immonde et interminable de power-up et fan-service. Contraint sans aucun doute par des pressions éditoriales, Masashi Kishimoto n'a su donner la fin qu'il méritait à Naruto puisque dans ce dernier arc, tout est prétexte à faire durer le "plaisir". L'auteur ne cherche même plus à donner des explications, à mettre en place tout le contexte autour de son intrigue comme il le faisait si bien avant. L'histoire ne nous raconte finalement plus grand chose, ça se tape sur la gueule dans une ambiance qui n'a rien à voir avec le Naruto des débuts et ses combats d'une technicité toujours agréablement surprenante. Bref, nous ne passerons pas des heures à décrire en quoi l'oeuvre a perdu toute sa magie dans ces derniers volume... ça vous le savez déjà. Ces derniers volumes nous ont montré un Masashi Kishimoto épuisé après quinze ans de parution non-stop, à un rythme effreiné, et pressé jusqu'à sa dernière goutte par un système éditorial sans vergogne.
Ce que nous raconte Naruto c'est l'histoire d'une oeuvre pourrie par le système qui l'a créée. En effet, aurions nous pu imaginer un tel nekketsu, archétype même de la série Shônen Jump, en dehors de ce magazine lui-même. Car finalement, c'est ce que nous apprécions en lisant une telle oeuvre : un manga accessible, à la parution rapide mais dont la profondeur n'est pas laissée pour autant. Comment une telle oeuvre aurait-elle pu naître en dehors de ce système sous haute pression? Néanmoins, le système éditorial japonais est un système qui se nourrit lui-même et qui a besoin de ventes pour se perpétuer, il est donc difficile pour les maison d'édition de lâcher une telle mine d'or lorsqu'ils en tiennent une. Mais peut-on faire passer les contraintes économiques avant l'artistique? Le manga est-il un produit avant d'être une oeuvre? Ce sont de telles questions que nous posent le cas Naruto, celles du bien fondé d'un tel système éditorial sur ses propres oeuvres.
M'enfin on ne va pas se laisser là-dessus! Il faut tout de même rendre un dernier hommage à Masashi Kishimoto et son oeuvre avant de se quitter. J'annonce donc l'instant larmichette : lance le générique Dédé! Naruto est une oeuvre qui a accompagné nombre d'entre nous pendant des années, et même vu grandir et se construire certains au travers des expériences de notre chère petite tête blonde. Nous avons vécu pendant des années au rythme de ses aventures, transportés entre des tournois magistraux, des combats épiques, des ermites pervers et des histoire émouvantes. L'oeuvre de Masashi Kishimoto n'a pas eu la fin grandiose qu'elle méritait, ou à plutôt eu une fin bien trop énorme pour pouvoir supporter son poids, mais restera un manga mythique... que nous préférerons considérer comme inachevé. Et c'est difficile de se quitter ainsi. Mais au-delà de problèmes éditoriaux, Naruto nous rappelle la beauté du manga : des oeuvres pouvant s'étaler sur des années, des lecture qui nous suivent au quotidien pour nous faire rêver autant que réfléchir. C'est aussi cela le manga, et ça a été cela Naruto. Merci beaucoup pour toutes ces aventures Kishimoto-sensei!