Le beau est toujours bizarre !
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Une citation de C.BAUDELAIRE qui colle tellement bien à cette série. Il est d'ailleurs obligatoire que pour l'occasion ce ne soit pas un seul chroniqueur qui s'y colle pour cette article mais deux !! On laisse Po Pah attaquer, puis je viendrais mettre mon grain de sel pour conclure les amis.
Le succès de Minetarô Mochizuki n'en finit plus en France. Après avoir remporté le prix de la meilleure série à Angoulême avec Chiisakobe, l'auteur est de retour chez Lézard noir avec Tokyo Kaido, une trilogie aux allures de plaque tournante pour sa carrière.
L’excentrique Dr Tamaki mène des recherches sur le cerveau. Hashi, 19 ans et demi, a un petit fragment de voiture qui est resté dans son cerveau suite à un accident, et depuis il ne peut s’empêcher de dire à voix haute tout ce qu’il ressent et tout ce qu’il pense. Hana, 21 ans, peut être soudainement prise d’un orgasme n’importe où, n’importe quand, et même en public. Le cerveau de Mari, 6 ans, ne perçoit pas les gens qui l’entourent, et elle vit dans un monde isolé où il n’y a aucun autre être humain à part elle. Hideo, 10 ans, dit avoir des “super pouvoirs”, et peut “entrer en contact avec les extra-terrestres”. En voilà un pitch pour le moins original dont Mochizuki a le secret.
Tokyo Kaido est donc un manga qui, comme son nom l'indique, se situe... absolument pas à Tokyo (BIM la feinte!). Non non, à vrai dire l'histoire prend place dans un hôpital psychiatrique, ou tout du moins nous raconte le quotidien pour le peu atypique de quelques uns de ses membres. Par l'identification à ses personnages totalement hors normes (au sens premier : "hors des normes"), l'auteur nous fait réfléchir sur nous-même. Il pose ainsi deux problématiques principales : celle de la différence mais aussi celle de son acceptation. D'un côté, l'aspect atypique de nos personnages remet les présupposés du lecteur en question : pourquoi ce jeune homme est-il considéré comme malade? Dire la vérité n'est donc pas socialement acceptable, il l'apprendra à ses dépends. Ou encore cette fille qui souffre de prendre du plaisir n'importe quand... Cette galerie de personnage attachants nous intrigue car elle nous aide à porter un regard différent sur nous-mêmes. A chacune de ces maladies est attaché un traumatisme fort en sens dont le lecteur ne pourra s'empêcher de chercher l'origine.
Pour cela, Mintetarô Mochizuki réinvente totalement son style. Entre Dragon Head et Chiisakobé il y a eu une transition dans la carrière du mangaka, et cette transition s'appelle Tokyo Kaido. Pour cette oeuvre, il part donc sur un renouveau total, l'auteur a changé jusqu'aux caractères de sa signature pour montrer que nous avons affaire à un nouveau lui. Comme dans son oeuvre suivante (mais précédente dans sa parution en France, oui it's complicated), il donne donc une place toute particulière au silence et se concentre sur l'image pour nous faire passer ses émotions. L'oeuvre de Mochizuki est une musique, que dis-je, une symphonie! Chaque case possède son sens propre et ne pourrait être autrement pour s'inscrire dans un tableau rythmique qui rend la lecture fluide et dynamique mais pourtant si apaisante.
Le mangaka met la barre très haute dans ce début de série et assume des choix scénaristiques osés dès le premier volume. Nous prenons du plaisir à retrouver ce goût pour la subversion si cher à l'auteur et ne pouvons qu'en demander encore après cette fin troublante. Voyons donc ce qu'il en sera pour la suite mais nul doute que le monsieur saura nous satisfaire!
* B.Allen en allant chercher son exemplaire chez son libraire! *
Un deuxième avis c'est toujours sympa :
Surprenant, c'est ce que je me suis dit en refermant ce premier tiers de "Tokyo Kaido". Je rejoins beaucoup mon collègue sur son avis, l'auteur essaie de véhiculer un maximum d'idée en particulier sur la différence, la tolérance, l'acceptation de soi et cela de façon assez différente justement. On retrouve toujours énormément de planches muettes, toujours avec ce style contemplatif qu'on lui connait, entrecouper ici avec des séquences plus bavardes. Le quatuor de personnage mis en avant est efficace, avec des spécificités assez inédite et on ne peut s'empêcher d'avoir une réflexion sur chaque personnage, sa situation, le pourquoi du comment... On parle beaucoup de titre comme "A Silent Voice", "Perfect World" en ce moment, qui sont de véritable odes aux valeurs citées plus haut, mais la série de MOCHIZUKI s'intègre dans la même veine, tout en proposant quelque chose de totalement différent (ouai c'est assez paradoxal). Sur le fond on en vient aux même choses, alors que sur la forme c'est un point de vu totalement différent et narré une fois de plus avec un génie tout particulier.
Qu'elles soient physiques ou mentales, les différences sont présentes et nous différencient. "Tokyo Kaido" vient nous le rappeler avec des exemples certes extravagants et singulier, mais de façon tellement efficace. La maîtrise scénaristique et graphique de MOCHIZUKI n'est plus à prouve, je crois qu'avec ce genre de série, on achète, on rentre chez soi, on lit, on prend la nouvelle claque du Sensei avec plaisir et en silence !