La Belle et le Hipster !

Après quatre volumes étalés sur un an de parution, la série qui sort du lot sur les étalages des librairies s'est terminée il y a deux mois maintenant. Un petit retour sur Chiisakobé, le dernier manga de Minetarô Mochizuki s'impose quelques semaines avant la sortie de sa précédente oeuvre (oui oui "précédente", t'embête pas à chercher c'est comme ça).

 

 

Chiisakobé est à l'origine un roman de Sûgorô Yamamoto datant de l'époque Edo. Mais puisqu'une adaptation pure et simple serait contraire à l'excentricité de Mochizuki, il ne pouvait qu'adapter cette histoire à son époque pour y faire passer le message qu'il souhaitait. Shigeji vient de perdre ses parents dans un incendie, et avec eux l'entreprise familiale Daitomé. Pourtant, personne ne pense ce jeune charpentier capable de reprendre le travail de ses parents. Lui que tout le monde remarque et personne ne prend au sérieux avec ses cheveux longs et sa barbe broussailleuse va devoir faire face à la mort de proches mais aussi à la reconstruciton de Daitomé. Un beau jour qu'il rentre dans son quartier natal il fait la rencontre d'une vieille amie d'enfance, Ritsu, qu'il embauche pour s'occuper des ouvriers et de cinq orphelins dont elle avait la charge depuis que leur foyer a brûlé. Cette oeuvre nous raconte donc l'histoire de cette cohabitation étrange pendant quatre volumes passionnants.

 

A la croisée entre une romance et une comédie mais bien loin de la comédie-romantique traditionnelle, Chiisakobé nous dévoile une histoire des plus simples mais aux enjeux émotionnels extrêmements forts. Chacun des habitants de cette maison se trouve dans une position particulière face à la perte de ses attaches, néanmoins les réactions des uns et des autres à ce drame, toutes différentes qu'elles soient, créeront une relations très féconde. Nous voyons notre héros se questionner sur son comportement, sur sa vie, et nous lecteurs nous questionnons avec lui. Comment réagir face à la perte d'un proche? Mochizuki avoue dans un article publié chez Libération (je vous laisse le chercher c'est pas bien compliqué) avoir voulu retranscrire dans cette oeuvre le sentiment d'une partie de la population japonaise après le désastre de 2011,"le témoignage de celui qui reste, tandis que ses proches ne sont plus".

 

Dans Chiisakobé le dessin prend souvent la place des mots, remplacé par une narration très dynamique bien qu'épurée, le dessin se concentre sur le corps des personnages, leurs expressions faciales mais aussi corporelles par lesquelles se traduisent leurs pensées. Puisque comme le dit le proverbe "une image vaut mille mots", ce n'est jamais par hasard qu'une certaine partie du corps est montrée dans une case, Mochizuki veut nous faire passer ses messages en se débarrassant le plus possible des limites du langage. Devant ces planches si extravagantes nous, lecteurs, nous retrouvons avec un sentiment assez agréable d'étonnement mêlé au sentiment profond de recevoir un message sans vraiment savoir comment. L'auteur communique directement avec nos sentiments sans traduire cela par des mots et faisant en cela de Chiisakobé une oeuvre totalement hors des clous.

 

Le manga nous transporte dans une autre dimension faite de coton. Tout est extrêmement doux autour de nous mais aucune intention mielleuse à l'horizon. Cette douceur découle d'une pureté incroyable, un trait soigné, gras et sans défauts tout en retenue. Une ambiance pensive de deuil sans aucune lourdeur se dégage tout au long de l'oeuvre, se prêtant à la réflexion et l'évasion. Le tout est souligné par des choix de tramage toujours très clairs et lumineux pour sublimer le tout. Au début on ne sait pas vraiment pourquoi on lit Chiisakobé, c'est sympa mais... bizarre. Et puis sans comprendre nous nous prenons à cette ambiance et cette histoire, c'est étrange mais ça nous plaît, et on en redemande. Après quatre volumes nous somme comblés et touchés, puis on ferme le volume et on se dit "mais qu'est-ce que je viens de lire?".

 

Chiisakobé c'est un manga d'une beauté autant graphique que morale, une oeuvre complète qui sort complètement des carcans en se débarrassant des mots. Jamais le terme "contemplatif" n'avait trouvé meilleure définition. Les dessins sont beaux, l'univers est tendre, les réflexions profondes et l'ambiance pensive. Minetarô Mochizuki réinvente son style dans ce manga pour nous offrir une oeuvre de grande qualité.

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