La planche : Akata (Dominique VERET)

Nous vous l'avions promis, pour la rentrée LA nouveauté sera la mise en place de cette nouvelle rubrique intitulée La Planche !!
Nous reprenons la méthode "pirate" de l'époque, on prend une personne et si elle ne nous raconte pas ce qu'on veut, elle ira nourrir les requins. Comme on en a un peu marre des interviews où les choses sont dites à moitié, on espère un minimum de sincérité et pas de langue de bois dans les réponses.
Concernant nos invités, nous alternerons entre divers acteurs du milieu, éditeurs, traducteurs, doubleurs, libraires, mais aussi bloggeurs et podcasteurs.
Pour inaugurer notre rubrique, les éditions Akata s'y collent. Dominique VERET, l'un des grands pontes de chez Akata s'est porté volontaire pour répondre à notre interrogatoire ! Passera-t-il à la planche ou non, verdict un peu plus bas !

Monsieur VERET, avec tout le respect que je vous dois, pourriez-vous jurer sur la tête d'une innocente magical girl de dire toute la vérité rien que la vérité ? Dites "Magicaaaaaaal" et tournez une fois sur vous-même en agitant votre baguette magique !! Merci.

 

* WANTED D.VERET*

1. Question tradition, peux-tu (oui je dis "tu" en cours de route) nous présenter rapidement les éditions Akata pour tous les ermites de France (qui ne liront pas cet interview cela dit) ? Petites explications sur la signification de "Akata" ?
 

En janvier 2001, nous quittons les Editions Tonkam avec ma femme. Entreprise familiale dont j’assurai la direction éditoriale. Pour rester indépendant quand les Editions Delcourt sont OK pour qu’on lance leur collection manga en septembre 2001, nous décidons de créer la société Akata. Au dos des mille mangas parus chez Delcourt pendant 12 ans, il y aura donc le logo Akata. Fin 2013, nous arrêtons de collaborer avec les Editions Delcourt et le label Akata devient les Editions Akata. Ce nom était déjà très identifié par ceux qui suivent nos activités depuis le début des années 90. Pour l’origine, du nom Akata, c’est un nom commun sanskrit qu’on a déformé avec un ami népalais. Les sons de ce mot fonctionnant bien, on l’a gardé.
 

2. Quand on scrute le catalogue d'Akata, on s'aperçoit de la variété assez impressionnante de genre (shonen,seinen,shojo) que l'on y retrouve. Un catalogue qui me rappel celui de Sakka qui semblent simplement sortir leur "crush". Comment sont choisies les licences chez vous ? On fonctionne simplement au coup de cœur même si le pari peut sembler risquer ?

 

Depuis la première période éditorial de Tonkam (1994/2000), pour le catalogue Delcourt/Akata manga et maintenant avec les Editions Akata, nous avons toujours édité de cette façon. Ce sont les autres éditeurs de mangas qui se sont inspirés au fil des ans de notre façon de construire un catalogue manga traitant de tous les genres (shojo, shonen, seinen) mais avec le souci d’un certain niveau de qualité constant. C’est à dire que nous n’avons jamais cherché la facilité. Nous ne publions pas des mangas hyper commerciaux vides et creux. Ce n’est même pas un choix personnel car on est maintenant plusieurs à choisir les titres qu’on publie. Comme nous avons tous des caractères forts et que nous pensons qu’il faut respecter les lecteurs, nous faisons souvent des choix à contre-courant qui finissent quand même par rencontrer leur public. Il y a des amateurs de mangas qui nous suivent depuis des années car ils savent qu’on surprend toujours et que notre catalogue ne ressemble pas à celui des autres éditeurs. Le coup de cœur c’est important pour Akata. La vraie question est pour nous : comment faire apprécier et vendre un manga qui n’est pas attendu ? C’est très excitant et c’est pour cela qu’on est libre.


3. Vous êtes arrivés avec l'incroyable et indescriptible collection "WTF!" qui cartonne à chaque nouvelle parution. Comment cette idée vous est-elle venue ? Et comment choisit-on un titre "formater" pour cette collection ?

Pour la collection WTF c’est surtout une idée de Bruno Pham et Nagy Véret. Les jeunes d’Akata. Pour l’instant 3 titres sont parus et on a chacun contribué à l'édition de celui qui lui tenait le plus à coeur. Le plus important de toute façon c’est de prendre ensemble une bonne décision. Là, on est sur deux projets et on ne sait pas si cela va être OK. On cherche déjà les prochains. On y réfléchit très longtemps à l’avance et on fouille un maximum dans les parutions passées ou d’aujourd'hui pour trouver des titres très surprenants. Vraiment pas facile à gérer ce genre de collection... Nous savons qu’on nous attend au tournant.


"Le geek, sa blonde et l’assassin" de Cheng Kin-wo est le deuxième titre paru de cette collection WTF, il est moins connu que "Magical girl of the end" et "Lady boy vs yakuza" car lors de sa sortie nous n’avons pas pu le faire découvrir aux médias comme pour nos autres titres. C’est pourtant un petit chef d’œuvre d’humour noir et de sabrage de l’hypocrisie qui prévaut chez les chinois biens-pensants. Je le recommande fortement. Autant que son adaptation au cinéma qui pourrait bien sortir en DVD en France si les fans se mobilisent (trailer dispo juste ici ). Pour public averti, non ?


4. Déjà à l'époque les éditions Akata ont toujours eu la réputation d'avoir un excellent catalogue (avec des titres fort acclamés par la critique), mais pas forcément grand public (et accessoirement avec de petites ventes). Votre ligne éditoriale ne semble pas avoir foncièrement changé, pourtant de l'extérieur on a l'impression que vous avez inversés la tendance (bien reçu par la critique et qui fait des ventes honorables), est-ce aussi ton ressenti ?
 
Nous voulons maintenant que nos titres se vendent beaucoup plus et on va s’en donner de plus en plus les moyens au fur et à mesure. J’ai toujours pensé que nos choix éditoriaux pour le catalogue Delcourt/Akata, étaient très appréciés des journalistes mais que les Editions Delcourt ne les assumaient pas totalement intellectuellement, culturellement et même commercialement. Guy Delcourt et moi, nous sommes très différents et nous n’avons pas les même motivations professionnelles. Je suis resté plus fidèle aux rêves humanistes de notre génération et ceux des nouvelles ne me sont pas indifférents. Je n’ai jamais aimé le mot “produit” et je ne considère pas que les jeunes soient des clients. Effectivement, en travaillant avec les Editions Delcourt qui n’étaient pas des “combattants du manga”, Akata s’est fait la réputation de ne pas chercher à beaucoup vendre ses mangas “différents”. Pour l’éditeur c’était pareil car notre mentalité moralement exigeante ne fonctionnait pas avec l’esprit maison.. Ce n’était pas confortable pour les Editions Delcourt de promouvoir à fond un catalogue manga pas toujours bobo de gauche. Cela convenait donc à tout le monde qu’on soit perçu comme des marginaux du manga qui ne veulent pas gagner d’argent.
 
Pour moi, un titre comme Onmyôji de Reiko Okano et Yumemakura Baku vendu à 900 exemplaires (en gros) au volume (des millions pour tous les volumes au Japon et deux films, etc...) pouvait se vendre à 3000 exemplaires si on avait eu envie de le faire connaitre à tous ceux qui pratique le Tai chi chuan, la méditation en étant branché Feng shui. On peut y ajouter la clientèle bien-être et bouddhisme zen etc. C’est pourtant à la mode toutes ces choses. Pareil pour Baki, Nés pour cogner ou nos mangas Voie du guerrier, les arts martiaux et la mentalité baston chevaleresque cela concerne un paquet de gens en France. Les éditeur de BD franco-belge qui ont une collection manga dans leur catalogue ne s'intéressent pas profondèment à  ces français qui sont imprégnés d'aspects différents des cultures japonaise et asiatiques.
 
Les éditeurs de BD franco-belge publient des mangas parce que ça se vend et qu’ils sont des bons démocrates bien pensant. Pour ce qui serait d’un approfondissement de l’intérêt réel et profond pour les BD asiatiques, il ne faut pas trop compter sur eux. Je connais bien cette “bourgeoisie” de l’éditorial manga.  Ce qui va se passer d'intéressant maintenant viendra des petites et moyens éditeurs bien branché Japon. Maintenant avec les Editions Akata, nous allons pouvoir être de plus en plus nous même après des années à courber le dos pour pouvoir faire évoluer les choses pour les mangas et ouvrir des pistes éditoriales aux autres éditeurs.
Il faut acheter nos mangas car ils sont “bio” et pour une fois vendus aux même prix que ceux des autres éditeurs.

5. L'année dernière nous avons pu découvrir un "global manga", "Les Torches d'Arkylon". Comment est venue l'idée d'intégrer un "frenchy" à votre catalogue ? Est-ce que dans ces moments-là le succès de "Dreamland" et autre "City Hall" joue un rôle dans la décision ?
 

Nous avions envie de participer à la digestion du manga  en lançant un jeune auteur français. Une première aventure avant d’autres. Nous pensons aussi qu’on est plus un vrai éditeur quand on publie de la création. C’est aussi une évidence que le manga exerce une telle influence sur les jeunes que cela va apparaitre de plus en plus chez les nouveaux auteurs.


6. La traditionnelle question, si tu pouvais chiper un titre chez n'importe quel autre et l'intégrer au catalogue Akata lequel serait-ce ? A l'inverse quel titre de ton catalogue tu refilerais si tu pouvais (la grosse tannasse) et lequel tu ne toucherais sous aucun prétexte ?!
 

Je ne me prends plus la tête avec les titres que j’aurais aimé publier. J’aimerais que certains éditeurs japonais soient plus justes et plus respectueux de ceux qui ont pris et prennent toujours plus de risques pour faire bouger et évoluer l’intérêt pour leurs BD. La culture de marché et l’ultra libéralisme qui se manifestent à travers la concurrence entre les éditeurs français et les enchères animées par les éditeurs japonais ne nous intéressent pas vraiment. Nous vivons en pleine campagne et nous savons parfaitement qu’il y a tellement de mangas intéressant qui paraissent qu’on n’a pas à se prendre la tête avec ces trucs d’urbains stressés. La compétition nous intéresse pas, nous recherchons la tranquillité.


7. Maintenant bien lancé, qu'est-ce qui sert de locomotive au niveau des ventes chez Akata ? De paire avec, qui est à la traine ou n'a pas remporter le succès attendu ?
 
"Magical girl of the end", "Magical girl site" et "Orange" ont beaucoup de succès. "Prisonnier Riku" est au milieu mais se construit  une très grosse réputation. C’est le shonen le plus positif et pêchu pour faire face à l’ambiance fétide qui existe dans la société et sur la planète. "Bienvenue au club" ne mérite pas d’avoir une audience si limité. Heureusement que la série a ses fans inconditionnels.  C’est un titre qui n’a pas dit son dernier mot.
 
On se remet aussi les pendules à l’heure pour nos titres à couverture cartonnés. Nous avons mal géré cette collection et on est en train de corriger le tir. Ce sont des très bonnes BD venant de Taïwan, Corée, Hong Kong et Japon. Elles sont parus à un moment où nous n’étions pas assez efficace pour bien les faire connaitre aux médias. Cette collection est donc toujours à découvrir et ce sont des beaux livres.
 
Ce qui est stimulant pour nous c’est qu’aucun de nos titres est un échec, nous avons juste fait des erreurs pour certains. Et les erreurs cela se corrigent.

8. Beaucoup de séries on été lancées depuis le début 2015, est-ce qu'on est bon de ce côté pour le moment ? Y-a-t-il eu des surprises ?

Je pense que notre réputation n’est pas encore assez notoire et qu’on n’a pas encore assez de moyens pour nous affirmer beaucoup plus pour imposer nos nouveautés dès la parution des premiers volumes de nos nouveautés. Il y a aussi beaucoup de confusion dans le manga. N’importe qui en lit maintenant en confondant tout ça avec le comics ou les romans Arlequin pour la partie shojo. L’actu manga c’est le grand foutoir.  Et le pire gène totalement le meilleur, on noircit trop de papier dans le manga pour des titres sans intérêts. N’importe qui peu éditer du manga...

"Dans l’intimité de Marie" de Shuzo Oshimi est promis au succès mais cela ne se sait pas encore. Cette série va évoluer vers des charges érotiques tellement fortes qu’elle va faire un carton. L’auteur sait très bien chauffer les lecteurs. Comme certaines filles savent le faire aussi... "Lady boy vs Yakuza" de Toshifumi Sakurai c’est le carton. Et là "Seki, mon voisin de classe" de Takuma Morishige est hyper attendu et réclamé. Et nous allons finir l’année avec "Colère nucléaire" de Takashi Imashiro pour signifier qu’on va commencer à éditer des mangas totalement différents et qui de plus se vendront très bien car c’est fini de se voiler la face. 


9. On a eu la surprise de voir débarquer le one-shot "Je reviendrai vous voir" signé MORIKAWA (l'auteur d'Ippo) et qui traite de l'après Fukushima. Comment s'est passée la sélection de ce titre ? Après "Daisy" (dans un autre genre), cela vous tient-il à cœur de partager un maximum ce genre de titre avec un ton dur et qui est ancré dans la réalité ?

Nous sommes très attentifs aux mangas qui parlent vrais sur la vraie vie car la fin du confort et de la facilité progressent de plus en plus vite. Un éditeur fait rêver quand tout va bien et permet de garder la tête hors de l’eau quand ça va plus. Je me répète mais je m’en fiche du marché et de toute cette culture d’éditeur capitaliste arriérée. Nos choix éditoriaux ne sont pas dictés par la perspective de l’argent facile. Nous préférons imposer des titres qui rendent lucides et qui n’intéressent pas sur le moment un maximum de monde. On sait qu’un noyau dur de lecteurs qui vont découvrir et vivre leur force de caractère grâce aux mangas qu’on publie va finir pas s’imposer et influencer les autres fans. C’est eux et nous qui allons construire et imposer un nouvel éditorial qui ne sera pas guidé par les demandes d’enfants gâtés qui ont peur de regarder et de vivre la réalité en face. Au Japon, l’avenir risque d'être dur et peut-être très dur à cause de la radio-activité qui s’est répandue là-bas et nous on a la bouffe pourrie et chimique et d’autres pollutions biens mais il y aura des mangas et des BD pour nous permettre de faire avec tout ça et même pour ramener de la joie de vivre et des bonnes idées au milieu de la confusion, du désordre et des souffrances. Cette direction éditoriale nous intéresse, c’est fini les moutons . Pour être en bonne santé, en forme et rigoler, il faut sortir ses tripes, se la donner et y croire.


10. Le mot de la fin te reviens, que peut-on souhaitez au "jeune" équipage d'Akata ?!
De pouvoir atteindre sa vitesse de croisière rapidement pour perfectionner toutes les facettes de notre travail et améliorer sa qualité. D’une certaine manière, tout en travaillant dans le manga depuis 1989, nous venons de recommencer à zéro depuis 2014. Au moins dans les années à venir on saura que la place qu’occupera les Editions Akata, nous ne la devrons qu’à nos collaborateurs et au noyau dur de l’équipe Akata.
 
De notre côté nous remercions, Dominique pour son temps et sa franchise. Cette première expérience était fort sympathique, donc j'imagine que nous nous reverrons dans deux semaine pour un nouvel épisode de La Planche !!
 
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